Les siècles d’hygiène sans utilisation d’eau

La propreté se conçoit d’abord en termes de «purification » par le décrassage interne. Mais ce n’est pas tant la crasse externe qui est redoutée que l’encrassement des organes par les humeurs… Les fermentations stagnantes. La véritable saleté est dans la corruption interne. II faut donc l’évacuer en priorité par un recours régulier aux clystères (lavements), purgatifs et saignées.

propreté

Cette obsession de l’évacuation conduit à des excès… La Princesse Palatine l’a dénoncés avec son franc-parler habituel :

Je crois qu’ils m’ont donné une dose trop forte, car en deux jours la purgation a agi dix-huit fois avec accompagnement de fortes coliques. Si j’en prends encore une, on aura vite fait de m’expédier dans l’autre monde.

Molière a également raillé ces excès dans Le malade Imaginaire, notamment avec le personnage de l’apothicaire Purgon. Mais cette stratégie purificatrice intègre deux autres outils essentiels, d’ailleurs étroitement associés, le changement de linge et le parfum.

Le pouvoir du linge blanc

Tableaux et gravures de l’époque montrent de façon éclatante l’importance accordée au linge dans la bonne société. La chemise a pris une ampleur nouvelle. Elle déborde largement sur les vêtements et ses prolongements naturels, collets, jabots et manchettes envahissent l’espace en cascades où le lin le dispute à la dentelle. Cette évolution n’est pas qu’une question de mode, elle traduit un profond souci de propreté corporelle. En contact direct avec la peau, le linge immaculé est censé l’expurger de ses superfluités. On lui attribue un véritable pouvoir d’attraction. Ce qui fait que les excréments et les matières de la graisse exhalent plus facilement pour s’attacher au linge blanc. Le roi renouvelle son linge plusieurs fois par jour et même au milieu de la nuit.

Pour la noblesse de cour, le changement quotidien de chemise est devenu une obligation minimale absolue. Un exemple typique de l’efficacité accordée au linge est fourni par un accessoire minutieusement décrit par le parfumeur Antoine Dejean dans son Traité des Odeurs le mouchoir de Vénus. II s’agit d’une petite pièce de toile imprégnée par macération dans un mélange complexe. Celui-ci est obtenu en distillant du vin blanc avec de la gomme arabique, de l’alun, du borax, du blanc de céruse, de la térébenthine, des citrons, des clous de girofle, des coquilles d’œufs frais et… un gros chapon. Le mouchoir est ensuite doucement séché à l’ombre. II est alors prêt pour un nettoyage à sec du visage. Cela donnera au teint une grande fraîcheur et un brillant admirable.

Le pouvoir nettoyant de la toile pour une propreté absolue, est ici renforcé par l’adjonction d’une composition aromatique qui conjugue ses vertus à celles du linge blanc.

L’imprégnation aromatique

Avec le linge blanc, l’autre grand vecteur de la propreté est sans conteste le parfum. Son usage démultiplié sous les formes les plus inattendues conduit à une véritable imprégnation. À tel point que, sous Louis XV, la cour de Versailles sera surnommée en Europe la cour parfumée. Cette débauche de senteurs a un premier avantage qui est de combattre les mauvaises odeurs… Dont la présence est, aux dires des contemporains, véritablement obsédante. Du point de vue olfactif, La Morandière décrit en 1764 le château de Versailles comme :

le réceptacle de toutes les horreurs de l’humanité

. II n’épargne aucun détail d’une véritable débâcle odorante :

Le parc, les jardins, le château même font soulever le cœur par leurs mauvaises odeurs. Les passages de communication, les cours, les bâtiments, les corridors sont remplis d’urine et de matières fécales. Au pied même de l’aile des ministres, un charcutier saigne et grille ses porcs tous les matins. L’avenue de Saint- Cloud est couverte d’eaux croupissantes et de chats morts.

La Morandière

L’environnement parisien n’est évidemment pas plus favorable. Ce n’est qu’en 1771 que le lieutenant de police, Monsieur de Sartines, essaiera d’endiguer la marée nauséabonde en faisant disposer des barils d’aisance à tous les coins de rue.